Le renminbi, future monnaie de référence ?



6 décembre 2019





Tribune signée par Oriane Lesiak​ et publiée dans Les Échos





Cet été 2019 a été mouvementé pour la Chine sur la scène internationale, sur fond de guerre commerciale avec les États-Unis et de crise politique à Hong Kong. Dans ce contexte de forte instabilité, la Chine poursuit difficilement ses efforts d'internationalisation de sa monnaie, le renminbi, qui ne saurait être confondue avec son unité de compte, le yuan.


Aux yeux des stratèges chinois, la monnaie constitue un outil de souveraineté sur lequel se fonde l'expansion économique du pays depuis son ouverture au commerce international – ouverture initiée à la fin des années 1970 à la faveur des réformes de Deng Xiaoping.


L'économiste américain Benjamin J. Cohen, professeur à l'université de Californie à Santa Barbara, n’hésite pas à souligner le caractère d’objectif stratégique prioritaire que revêt, depuis 2009, la politique d'internationalisation du renminbi. Cette devise a progressivement acquis les différentes fonctions de la monnaie théorisées par Aristote : ouverte au commerce transfrontalier, elle s’adosse désormais sur un marché spécifique conçu pour les opérations d'investissement et gagne du terrain dans la composition des réserves de change mondiales.


Une politique progressive d'internationalisation du renminbi


Fortes de cet objectif stratégique prioritaire, les autorités chinoises se sont accordées, depuis 2008, avec une cinquantaine de banques centrales étrangères afin que celles-ci accroissent leurs réserves de change en renminbi. À partir de 2012, la Banque populaire de Chine (BPC) a désigné des banques de compensation dans la plupart des partenaires commerciaux du pays, à l'instar de la Bank of China en France, afin d'assurer la liquidité de la monnaie en dehors du territoire national. Cette même année, la BPC a autorisé les paiements internationaux en renminbi, permettant à ce dernier d'accéder en 2016 au panier de réserves du Fonds monétaire international (FMI).


Plus important encore, un marché dédié aux investissements internationaux a été créé en 2010 à Hong Kong. Celui-ci consacre une grande originalité du système monétaire « à la chinoise ». En effet, la BPC décline le renminbi selon deux systèmes de taux de change. Le premier, dit « onshore » (CNY), n'est utilisé qu'au sein du seul territoire continental quand le second, dit « offshore » (CNH), est destiné aux échanges internationaux.


Dans ce cadre, le marché « offshore » ainsi installé à Hong Kong peut être perçu comme un laboratoire financier protégeant le marché « onshore » des vicissitudes des transactions mondiales. La monnaie « offshore » repose sur le développement de deux produits financiers phares libellés en CNH, à savoir les dépôts bancaires et les obligations d’État « dim sum », ces dernières permettant d’emprunter des renminbis aux investisseurs qui en ont en réserve.


Le développement des bourses de Shanghai et de Shenzhen


Parallèlement, et selon une tendance elle aussi amorcée en 2010, la Chine a continuellement assoupli le contrôle exercé sur le compte financier « onshore ». La BPC a déployé des mesures innovantes en faveur des investisseurs étrangers et chinois : autorisation des investissements directs étrangers en CNY et élargissement des quotas encadrant les investissements de portefeuille via des programmes spécifiques. L'ouverture du marché obligataire interbancaire chinois aux investisseurs institutionnels étrangers a hissé la Chine au rang du 3ème marché obligataire mondial.


Concernant le marché des actions, plus de 220 titres en renminbi ont été intégrés à l’indice MSCI des pays émergents en 2017 – susceptibles de capter pas moins de 12 milliards de dollars d’investissements. Pour accompagner cette dynamique, la Chine a renforcé la connexion de ses infrastructures boursières transfrontalières, notamment Shanghai-Hong Kong et Shenzhen-Hong Kong, avec le reste du monde. Malgré ces efforts, les investisseurs étrangers n'ont aujourd'hui accès qu'à 3,7 % de la capitalisation boursière nationale.


Un manque de confiance persistant du côté des investisseurs


Ces multiples avancées, si elles sont réelles, doivent être nuancées au regard de la modeste 4ème place qu'occupe le renminbi dans le classement des transactions internationales. 2 % seulement des échanges mondiaux sont libellés en renminbi contre plus de 41 % pour le dollar et 33 % pour l’euro. La majorité de ces transactions en renminbi transite par le marché « offshore » hongkongais : les tensions politiques récentes sont, en ce sens, sources de grande inquiétude pour les investisseurs étrangers.


D'autres facteurs internes font office de repoussoir aux yeux des acteurs financiers. Le spectre d'un « Minsky moment », c’est-à-dire l'éclatement d'une bulle financière provoquée par une très forte accumulation de crédit, est rendu possible par un double mouvement : des flux massifs de sortie des capitaux privés chinois à destination des secteurs stratégiques des économies développées d'une part, et l'explosion en dix ans de l'endettement privé national de 166 % à 277 % du PIB d'autre part.


Aussi l’économiste Paola Subacchi qualifie-t-elle le renminbi de monnaie « naine ». En tout état de cause, la monnaie chinoise se doit de franchir une ultime étape avant de pouvoir se prétendre réellement internationale – cette étape étant l'obtention du statut de « monnaie refuge ». Ceci nécessite la restauration d'une relation de pleine confiance avec les investisseurs étrangers et la poursuite de l'ouverture du compte financier « onshore » de la Chine.


La Chine, première puissance financière en 2050 ?


Le retour de la confiance implique nécessairement, selon l'analyse du professeur à Berkeley et ancien conseiller politique au FMI Barry Eichengreen, la mise en place d’un État de droit couplé d'un gouvernement davantage transparent et à la légitimité démocratique renforcée. Une structure d'endettement plus équilibrée et la restructuration de la BPC sont autant de conditions fortes supplémentaires.


Il conviendrait, en outre, que la BPC s'inspire des politiques macro-prudentielles telles que définies par les Accords de Bâle afin de prévenir tout risque financier systémique via l'exigence d'un niveau minimum de fonds propres. La création d'une instance de régulation financière unique en 2018, par la fusion des régulateurs bancaire (CBRC) et assurantiel (CIRC) préexistants, témoigne de cette volonté de consolider le système monétaire national. Selon cette approche, l’État chinois conserve toutefois son statut de « big government » par le maintien d'un fort interventionnisme.


Plus intéressant encore, la BPC a annoncé le 11 août dernier le lancement prochain de sa propre crypto-monnaie – la Central Bank Digital Currency. Projet initié en 2014, cette monnaie digitale repose sur la technologie de la blockchain : les objectifs poursuivis sont ceux d’une réduction des coûts de transaction, d'amélioration du contrôle des opérations et de limitation des risques de fraude. L'usage de pareille technologie présente un fort enjeu stratégique, car celle-ci pourrait redéfinir les normes du système monétaire et financier mondial. D’après le Forum économique mondial, cette crypto-monnaie pourrait remplacer à terme le dollar – auquel est indexé le yuan – dans les échanges internationaux.


Ces réformes sont d'autant plus importantes que la Chine a introduit récemment un vaste programme d'investissements financiers s’appuyant sur les réserves de renminbi à l'étranger – en l'espèce, la « nouvelle route de la soie » que le professeur Anoush Ehteshami, de l’université de Durham, évalue à près de 4 000 milliards de dollars. La Chine pourrait dès lors s'affirmer comme un acteur financier de premier plan – et la question formulée en 2013 par le chercheur chinois Song Hongbing trouverait finalement sa réponse : « En 1850, Londres était sans aucun doute le soleil du système financier mondial. En 1950, New York prit sa place au centre de la richesse du monde. En 2050, qui revendiquera le trône hégémonique de la finance internationale ? »


Crédit photo : Bruce Detorres