Diversité culturelle et tissu associatif en Seine-Saint-Denis



26 septembre 2020





Étude cosignée avec l'Observatoire de la diversité culturelle





Esprit général


« Laboratoire de toutes les démocraties », la Seine-Saint-Denis est un territoire qui compte tant au niveau national qu’international. Parfois stigmatisé et identifié uniquement au travers de ses faiblesses, le département tient une place singulière dans le panorama des politiques urbaines en raison d’une situation géographique, économique et démographique exceptionnelle.


Assurément, des difficultés s’y déploient et orientent les imaginaires collectifs : les études statistiques révèlent que le département est le plus pauvre de la France métropolitaine (en 2016, le taux de pauvreté s’élève à 28,6 % contre une moyenne nationale de 14,7 %), que les interruptions scolaires y sont fréquentes (en 2015, 28 % des jeunes de 18 à 24 ans sont sans emploi ni formation, soit treize points de plus que dans les Hauts-de-Seine) et que l’insécurité inquiète les habitants (en 2015, 55,4 % des Séquano-Dionysiens déclarent avoir été victimes d’au moins un acte de délinquance au cours des trois dernières années).


Ainsi, le département fait l’objet d’une attention spécifique de la part des pouvoirs publics : celui-ci a été le théâtre de cinquante ans de politiques publiques dites prioritaires, expérimentant les divers dispositifs imaginés par les gouvernements successifs. À ce sujet, le rapport parlementaire de mai 2018 sur l’action de l’État en Seine-Saint-Denis retient trois chiffres : 39 % de la population du territoire réside dans l’un des soixante-trois quartiers de la politique de la ville, 62 % des collégiens sont inscrits dans un établissement d’éducation prioritaire et quatre zones de sécurité prioritaire ont été instituées. Ces mesures ne permettent pas, d’après ce rapport, la résolution en profondeur des problèmes du territoire.


Pour autant, la Seine-Saint-Denis dispose de richesses sans pareilles. Les plus récentes et les plus évidentes portent sur sa proximité renforcée avec la capitale dans le cadre du Grand Paris Express, l’implantation de sièges sociaux de grands groupes (SNCF, Veolia, Darty, Ubisoft, etc.), l’accueil de l’essentiel des équipements des Jeux olympiques 2024 et le dynamisme de sa démographie (5ème département de France avec 1,6 million d’habitants au 1er janvier 2018 selon l’Insee, avec 43,4 % de moins de 32 ans contre 36,2 % pour la moyenne métropolitaine).


Dans ce tableau d’ensemble, la diversité culturelle occupe une place de choix. En effet, le territoire se distingue par son cosmopolitisme et compte le plus de population immigrée en France (hors Mayotte). Cette réalité résulte d’une profonde évolution historique. Après sa création par fusion en 1968 des anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise, et dans le contexte des Trente glorieuses, la Seine-Saint-Denis est devenue un foyer d’accueil privilégié pour l’immigration de travail. L’accueil des familles a été rendu possible par de grands programmes d’urbanisme, à l’instar de la cité des 4 000 à La Courneuve, des Francs-Moisins à Saint-Denis et des Bosquets à Montfermeil. Aussi la part de population immigrée a-t-elle presque triplé en un demi siècle selon les recensements Insee (11,2 % en 1968 contre 29,7 % en 2015), sept pays représentant près de la moitié des territoires d’origine (Algérie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Tunisie et Turquie). Aujourd’hui, le département demeure un sas d’entrée ou de sortie de la France depuis l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, et se trouve en prise directe avec la multiplication des flux induits par la mondialisation.


Dès lors, la tentation est grande de vouloir apporter une interprétation « morale » à cette diversité. Deux voies s’offrent à tout observateur pressé. La première, négative, est d’en faire la source des maux exposés ci-avant (pauvreté, échec scolaire, délinquance, etc.) : à l’échelle nationale, 56 % des Français portent un regard négatif sur l’immigration – alors même qu’un quart de la population française a au moins un grand-parent immigré. La seconde, positive, est d’insister sur les avantages associés à la diversité : s’agissant du milieu professionnel, deux études du cabinet de conseil McKinsey publiées en 2015 (Why Diversity Matters) et en 2018 (Delivering through Diversity) indiquent que la présence de cadres aux horizons culturels divers influence favorablement les performances des entreprises. Après tout, pourquoi le caractère international de New York serait-il perçu comme un atout et pas celui de la Seine-Saint-Denis ?


À la croisée des opinions contradictoires, il est encore possible de se soustraire à la polémique : la diversité culturelle n’est, intrinsèquement, ni « bonne » ni « mauvaise ». Elle est à la fois une réalité sociale et une notion insaisissable tant sa définition varie au gré des intentions de qui l’invoque. En 1952, les anthropologues américains Alfred Kroeber et Clyde Kluckhohn recensent pas moins de 164 définitions pour le seul concept de culture. Prise pragmatiquement, la diversité culturelle s’entend comme l’ensemble des différences d’expressions et de représentations du monde liées non seulement à une origine géographique, une langue ou une religion mais aussi à l’âge, au genre et à tout autre facteur discriminant (revenus, handicap, etc.). En d’autres termes, la diversité culturelle ne se circonscrit pas au champ de l’ethnique ou du religieux, mais couvre bien d’autres dimensions. Et ses atouts se révèlent dès que l’on y travaille.


Toujours aussi pragmatiquement, les premiers à devoir composer avec cette réalité complexe et contrastée sont les acteurs associatifs. Les volontés humaines sont, en Seine-Saint-Denis, particulièrement développées et le tissu associatif y est dense afin d’apporter des solutions aux situations locales les plus difficiles. Jean-Louis Borloo, dans son récent rapport sur la politique de la ville, rend hommage à des quartiers qui « sont particulièrement innovants, en avance sur bien des points, notamment les solidarités humaines, l’audace et la créativité ».


Dans le prolongement d’une enquête publiée en 2012 et qu’il est apparu nécessaire d’actualiser, l’Observatoire de la diversité culturelle et les Vendredis de la Colline ont tenu à rendre compte d’initiatives portées par des acteurs associatifs œuvrant à la diversité culturelle en Seine Saint Denis. Souligner la richesse des liens interculturels que ces acteurs de proximité concourent à mettre en valeur, par une typologie des associations mobilisées et par l’identification de certaines bonnes pratiques, telle est l’ambition du présent travail.


Crédit photo : Julien Chatelain